Maud Kristen
Un lieu : la Gare du Nord à Paris. Une destination: Berck. Une date : le 17 mai 2005. Une question : « Où et quand ? ». … et voilà que l’artiste se laisse mener par son destin.
A la Galerie Emmanuel Perrotin, l’exposition de Sophie Calle s’est bâtie en collaboration étroite avec Maud Kristen. C’est donc la célèbre voyante, connue pour ses talents de double vue, que l’on a choisi d’interviewer. Elle nous livre quelques-unes des clés de ce mystèrieux périple artistico-mystique.
Propos recueillis par Anaïd Demir
Comment vous êtes-vous rencontrées avec Sophie Calle ?
Sophie est venue me voir en consultation et elle avait depuis longtemps une idée en tête… il s’agissait de quelque chose qu’elle avait d’abord demandé à un auteur : Paul Auster. Etant donné que Paul Auster s’est inspiré de la vie de Sophie Calle dans son livre « Leviathan », elle voulait que celui-ci écrive quelque chose qu’elle s’appliquerait à vivre. Mais il a refusé, trouvant cela dangereux.
Elle est donc venue me voir, en tant que voyante, pour me proposer de voir quelque chose qu’elle s’appliquerait à réaliser. Mais je n’étais pas d’accord non plus parce que tout mon travail est de réhabiliter la voyance, de réétablir l’idée qu’il existe des capacacités non sensorielles et que donc, on est capable d’avoir des informations qui ne passent pas par les 5 sens. Il s’agit de capacités psychiques. Je ne suis pas seule à les avoir, tout le monde peut les développer.
Et c’est pour ça que je travaille depuis des années avec des universités de parapsychologie en France et à l’étranger. J’ai un positionnement, une ligne très dure. Donc accepter le jeu de Sophie, c’était d’une certaine manière pour moi dégrader ma pratique, donner de l’eau au moulin de mes pires ennemis qui disent : « Vous allez voir des voyantes et les choses vous arrivent parce que vous le voulez bien ».
Je trouvais aussi qu’il y avait, dans cette proposition de Sophie, une espèce de raptation de sa propre vie et de sa liberté… et je ne pouvais pas l’accepter.
Puis on a fini par trouver cette idée de « Où et quand ? ».
C’était comme un jeu , quelque chose qui serait plutôt du côté du poème de Baudelaire, « les Correspondances » : l’idée que des choses peuvent se passer, se mettre en place, que l’on peut produire de la synchronicité.
Ce qui m’a beaucoup plu, c’était d’avoir quelqu’un qui me dit « Qu’est-ce que le destin veut pour moi ? ». Cette disponibilité de Sophie m’a beaucoup amusé. Je me suis dit : est-ce qu’on va réussir à créer de la synchronicité, est-ce qu’il va pouvoir se passer quelque chose avec ce jeu ? Normalement la divination est un langage qui sert à répondre à des questions. Et là, soudain, ça s’exprimait hors d’une question. Il s’agissait de voir si quelque chose de poétique allait se passer. Et ça a formidablement bien marché.
Qu’avez-vous précisément vu ?
Je l’ai vue à Berck et dés le départ, dès le quai de la Gare du Nord, elle a rencontré Jack Lang à 7 h du matin. C’est quand même l’Ancien Ministre de la Culture, et pour une artiste, ce n’est pas rien. Il y a eu ce premier signe et puis plein d’autres.
Le plus beau étant l’histoire des frères Berck : J’ai vu deux garçons jeunes et beaux, morts en mer. Je lui ai donc fait faire un rituel funèbre pour ces deux marins inconnus. A ce moment-là, deux marins, des frères jumeaux, bien vivants et bien connus de l’artiste l’ont appelé. Sinon, dans Berck, une vieille dame de 80 ans qui se fait appeler Mémé se comporte en dominatrice avec Sophie en lui donnant des ordres absurdes et très autoritaires auxquels elle obéit… alors que dès le départ, j’ai dit à Sophie : « Je ne veux pas vous dire ce que vous avez à faire. Je ne veux pas vous dominer. » Et il y a eu comme ça tout un tas de synchronicités. Tout nous disait que le jeu marchait.
En quoi son futur l’attendait là ?
Ce n’était pas son futur, c’était une zone-test dont on avait convenu toutes les deux pour dire « Est-ce que quand je vois quelque chose, il se produit dans votre vie des choses qui ont du sens». C’était juste pour savoir s’il allait y avoir de la synchronicité… et il y en a eu à foison.
Sophie Calle se livre en partie au jeu du hasard dans son travail… est-ce avec cette matière-là que vous avez traité ?
L’origine du mot « hasard » en arabe, c’est le « dé de Dieu ». Ça signifie qu’il y a une intentionalité qui n’est pas la nôtre.
Il n’y a donc pas de hasard ?
Voilà.
Vous avez d’autres projets avec Sophie Calle ?
« Où et quand ? » continue à Lourdes. Il faut savoir que je n’envoie pas Sophie dans le sens de ses désirs. Sophie adore le Sud, la Mediterranée, la Camargue, la fête… et je l’envoie toujours dans des endroits qui la dépriment.
Pour des raisons qui m’échappent, je n’arrive jamais à interviewer Sophie Calle. Est-ce que vous pensez qu’un jour ça va changer ?
On va regarder… (Elle tire le Tarot). Avec le « Mat » en synthèse, ce sera retardé… vous n’y arriverez pas tout de suite, il y aura bien des pérégrinations avant.
Sophie Calle, “Où et Quand ?”, Galerie Emmanuel Perrotin, 10, impasse Saint Claude 75003 Paris. Du 06 septembre au 14 octobre 2008
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